Tableau de bord de surveillance du doctor shopping pour les médicaments psychoactifs dans la population générale française

Des organisations internationales telles que l’Organe international de contrôle des stupéfiants ont averti que l’abus de médicaments pourrait bientôt dépasser celui des substances illicites. L’abus de médicaments est qualifié d’épidémie dans plusieurs pays, notamment en Amérique du Nord, et est considéré comme une menace en Europe. La plupart des surveillances épidémiologiques des problèmes de santé publique reposent sur des indicateurs et des tableaux de bord permettant de suivre l’évolution des épidémies (comme l’ont récemment illustré CovidTracker). Concernant l’évaluation des médicaments en vie réelle, les études d’utilisation sont ainsi essentielles. Les informations qu’elles peuvent fournir (par exemple, le nombre d’utilisateurs, les tendances d’utilisation, les conditions d’utilisation, etc.) contribuent à évaluer si les règles de bon usage sont respectées. Enfin, étant donné que l’évaluation de l’abus s’intéresse à un problème souvent caché, des méthodes de détection et de quantification spécifiques sont nécessaires.

Depuis le début des années 2000, notre équipe travaille au développement et à la validation d’une méthode de détection et de quantification de l’abus de médicaments à partir de bases de données de l’Assurance maladie en utilisant des indicateurs de doctor shopping (c’est-à-dire le chevauchement des prescriptions de plusieurs médecins pour un même médicament). Nous avons montré que ces indicateurs peuvent être utilisés comme un indicateur de l’abus de médicaments. Sur la base de cette expérience, le projet vise à mettre en place une surveillance nationale du doctor shopping pour tous les médicaments psychoactifs en utilisant le Système national des données de santé.

Les résultats attendus sont la mise au point d’un tableau de bord réactif d’indicateurs de consommation et d’abus de médicaments, tenant compte de nombreux déterminants potentiels de l’abus (par exemple, des déterminants pharmacologiques tels que la formulation et le dosage ; des déterminants individuels tels que le sexe, l’âge ou le statut socio-économique ; ou des déterminants régionaux). Il s’agira d’une étude nationale transversale répétée de l’utilisation de médicaments psychoactifs pour la population adulte française. La source de données sera le Système national des données de santé (SNDS), l’entrepôt national qui centralise prospectivement les données individuelles pseudonymisées de l’Assurance maladie pour les 67 millions de Français. Tous les sujets ayant reçu des médicaments psychoactifs seront identifiés chaque année depuis 2015. La population cible est l’ensemble de la population adulte française des deux sexes (pas d’exclusion basée sur des caractéristiques cliniques ou sociodémographiques).

Les médicaments psychoactifs sont définis comme tous les médicaments agissant sur le système nerveux central, y compris les psychotropes (ex : analgésiques, psycholeptiques, etc.). En tenant compte de toutes les formulations et doses disponibles, cela correspond à environ 3500 spécialités. Des données relatives aux délivrances et aux patients seront extraites, y compris des covariables qui peuvent être des corrélats et/ou des déterminants de l’abus (par exemple, l’âge, le sexe, les affections de longue durée, l’indice de désavantage social, le département de résidence). La détection et la quantification du doctor shopping reposent sur un algorithme qui a été validé au cours des deux dernières décennies (plus de 10 publications dans des revues internationales à comité de lecture). Des indicateurs de doctor shopping seront calculés et utilisés comme proxy de l’abus de médicaments. Des indicateurs de l’utilisation des médicaments seront également calculés (par exemple, le nombre de sujets exposés, la dose, etc.).

Les résultats attendus sont un classement national annuel de tous les médicaments psychoactifs délivrés selon des indicateurs de doctor shopping et des indicateurs d’utilisation. Ce classement général sera décliné en plusieurs présentations (par exemple, présentation par région, par sexe et  âge, par formulation et dose, par privation, par spécialité du médecin, etc.) Ces résultats détaillés permettront des comparaisons entre  plusieurs déterminants de l’abus de médicaments. Ce grand nombre de présentations sera synthétisé dans un tableau de bord interactif facile d’emploi permettant une exploration simple des résultats par les autorités sanitaires, les professionnels de la
santé et le public.

Ce projet répondra au besoin de données fiables et en temps réel sur les habitudes de prescription et de consommation, prérequis nécessaire à la gestion d’une politique sur les produits de santé. Ce projet permettra de construire un tableau de bord réactif fournissant des indicateurs quantitatifs, comparatifs et représentatifs de la consommation et de l’abus de médicaments en France.