Analyses situées des tensions entre aides humaines et aides techniques

Résumé de soumission

La recherche s’inscrit dans la sociologie des usages. Son objectif est d’étudier comment les personnes reconnues handicapées en raison de pathologies de type neuromusculaires et neurodégénératives agencent aides humaines et aides techniques dans différentes situations de leur vie. Ces arrangements -ici dénommées écosystèmes d’aides- entre les deux types d’aide peuvent renvoyer à une substitution, un pis-aller, une complémentarité, un soutien… Il s’agit de savoir si et comment les arrangements auxquels des personnes en situation de handicap ont recours dans leur vie quotidienne (au domicile, lors de déplacements, au cours d’une activité…) conviennent et permettent à la personne concernée de mener à bien ses projets dans les différentes sphères de la vie sociale. Nous nous concentrerons sur la tension susceptible d’émerger dans les processus décisionnels entre types de recours. Trois ensemble d’enjeux constitutifs de ces recours seront explorés : la relation sociale aidants professionnels /personne concernée ; l’intimité ; l’identité sociale.

 

Les écosystèmes d’aide évoluant au cours du temps – acquisition d’une aide technique, nouveau projet de vie, retrait d’un proche aidant…- nous serons attentifs à reconstituer des carrières de configurations d’aides. Les entretiens réalisés avec une trentaine de personnes aidées (vivant à domicile et en établissement) permettront d’explorer à la fois ces carrières, la pertinence et les limites des arrangements successifs ainsi que les différents enjeux sus-cités. Les entretiens effectués avec une quinzaine d’aidants professionnels porteront sur les mêmes questions. Des observations de situations d’aide seront menées. Elles seront complétées d’entretiens d’explicitation avec les acteurs aidés et aidants professionnels.

 

Nous visons ainsi une participation à la connaissance de processus décisionnels et d’enjeux relationnels dans un environnement sociotechnique.

Synthèse finale du projet

Rappelons que notre préoccupation principale était l’expérience des articulations entre le recours aux aides techniques et le recours aux aides humaines, située dans un écosystème d’aides.
Au terme de ces analyses, différents éléments des trois chapitres présentés sont à retenir.

 

Concernant l’intimité :
− Les frontières de l’intime évoluent au cours du temps (du temps individuel, du temps de la maladie et de l’articulation des AT et des aides humaines).
− Loin d’être définitivement acquis lors de la socialisation primaire, l’intime est l’objet de redéfinitions continuelles : il touche la question de la limite de son corps, laquelle, avec le développement de la pathologie, en vient à être progressivement redéfinie.
− Ces constructions continues doivent moins être envisagées comme une succession de renoncements que comme des compromis.
− Le compromis résulte d’un calcul entre le coût d’une préservation de l’intimité et d’autres objectifs qui sont à comprendre dans les activités et dans les configurations d’aides : être seul, ne pas être accompagné de la personne dont on a besoin pour agir, c’est faire un compromis entre intimité et capacité d’agir. Ressentir le besoin de ce moment de « respiration » conduit alors à accepter l’incapacité relative qui découle de cette intimité avec soi retrouvée.
− La question de l’intimité dans un couple implique un double travail de concession concernant sa propre intimité – exhibée aux aidants mais aussi au partenaire à qui on doit montrer des choses qu’on souhaiterait peut-être pouvoir lui cacher – mais aussi celle du partenaire dont on doit accepter – après qu’il / elle a elle-même accepté de la partager – qu’elle soit en partie exposée à des tiers.

 

Concernant les configurations familiales :
− Il existe une grande diversité de configurations familiales.
− Les conséquences de la maladie participent à la production de ces configurations.
− Les aides circulent entre les membres de la famille, notamment les parents. Tant les aides humaines professionnelles que techniques peuvent servir aux uns – les personnes atteintes de myopathies – et aux autres – les aidants familiaux. Elles servent très directement quand une même aide est utilisée par les uns et par les autres ou indirectement, lorsqu’elles aident les aidants dans l’aide qu’ils apportent. La circulation s’inscrit enfin dans le temps puisque les enfants malades vont, dans certaines configurations et certaines situations, devenir aidants de leurs parents vieillissants.
− Nous invitons à être vigilant quant à la pertinence du terme d’« aidant » : il induit un risque de confusion en « naturalisant » les activités de compensation de la famille. Une dépendance familiale peut devenir synonyme d’enfermement concret et matériel au sein
du domicile familial duquel il devient impossible de sortir du fait de la dépendance (et même des codépendances que nous avons observées). Cet enfermement peut-être issu du refus de l’ingérence de personnes étrangères à la famille.
− Dans nombre de cas, une co-dépendance totale s’installe entre mère et enfant, les pères sont davantage absents.
− L’anticipation du décès de l’aidant familial et de ce qu’il impliquera est très rare.
− Certaines familles expriment et expliquent des décisions, un empowerment, au sujet des configurations d’aides, d’autres semblent « laisser faire » et s’en remettre à des formes d’allant de soi.

 

Evolutions de la configuration AT/AH
− L’âge et la génération des personnes sont des variables déterminantes pour comprendre le rapport des personnes aux AT/AH.
− Il faut voir le recours aux aides, AT comme AH comme quelque chose qui s’inscrit dans le temps de la vie de la personne et de ce qu’elle a mis en oeuvre, aménagé tout au long de sa vie, tant au plan matériel que de ses relations aux autres.
o L’introduction d’une nouvelle aide technique est ainsi conditionnée à des choix antérieurs : de domiciliation, de caractéristiques du domicile…
o L’irruption d’une (nouvelle) AH dépend en partie des AH antérieures, du type de relations (don, contre-don etc) quelles ont noué. Il faut pouvoir, dans certains cas, rompre, défaire l’aménagement qu’on a mis en place et dans lequel on s’est installé.
− L’évolution dont il s’agit est toujours une régression. Avec le temps, d’une manière ou d’une autre, il ne s’agit pas seulement de changer l’écosystème d’aides, il faut en apporter davantage.
− L’expérience de la maladie et de son évolution rend la personne compétente pour enseigner aux aidants des manières de s’y prendre, adapter les aides techniques, souvent avec les moyens du bord. Ce faisant, la personne réduit la charge mentale que génère la
nécessité de devoir toujours anticiper (une situation à risque, la défection d’un aidant professionnel, une soudaine dégradation de l’état de santé, etc.).
− Il s’avère nécessaire de prendre en compte les conditions de vie des personnes pour comprendre l’évolution des besoins en AH/AT : une entrée en institution, un changement de logement, l’ouverture à de nouveaux droits ou de nouvelles ressources et, de façon plus générale, les déterminants sociaux classiques comme le lieu d’habitation, l’activité professionnelle, le capital culturel, les autres activités et le soutien social structurent l’autonomie, les espaces de dépendance et les besoins en AH/AT. Les ressources financières et les conditions de logement restent des déterminants essentiels. L’évolution des besoins en AT/AH est fortement impactée par ces changements. De façon générale, pour l’ensemble des personnes interrogées, les conditions d’existences génèrent ces besoins quel que soit le niveau d’aide, et les capacités d’action des personnes.
− Les déterminants impactant l’évolution des besoins en AT/AH sont multiples et dépassent largement le rythme de la maladie. Les personnes vont adopter différentes manières de faire face aux changements, par le bricolage, par l’apprentissage, avec anticipation ou enfin avec résignation.
o Ces postures ne s’opposent pas, elles font partie du panel des réactions possibles face aux changements attendus ou pas. Il est évident que les ressources disponibles sont des facteurs facilitants et qu’au contraire la soudaineté ou la gravité des changements détermine la capacité de réponses des personnes et de leur entourage.
De façon générale, ces différents points nous permettent d’avancer l’idée selon laquelle nous ne pouvons penser ces configurations d’aides en termes de « tout technique ». L’aide humaine reste indispensable quel que soit l’équipement à disposition.

Equipes du projet

Coordonnateur :

SICOT François

Structure administrative de rattachement : Université Toulouse 2

Laboratoire ou équipe : LISST

N° RNSR : 200311864M

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